Par Gilles Raoul, Partner Energies & Utilities chez Talan Consulting
L’Union Européenne consomme environ 400 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an. La part du gaz dans la consommation finale d’énergie est cependant très variable d’un pays à l’autre. Elle représente jusqu’à 37% pour les Pays-Bas, 30% pour la Hongrie ou l'Italie, 26% pour l'Allemagne et seulement 20% pour la France.
La plus grande partie de ce gaz – environ 80% - est amené par gazoduc de pays hors Union Européenne. La Russie couvre environ 40% de ces importations, ce qui correspond à 19% de la consommation énergétique finale, avec encore une fois de fortes disparités par pays. La France n’importe que 17% de son gaz de Russie, alors que l’Allemagne en importe 55%. La Russie est le premier fournisseur de gaz naturel des Vingt-sept et le deuxième fournisseur de pétrole (avec 20 % des importations et 16 % de la consommation totale).
Les alternatives à un arrêt brutal des importations de gaz en provenance de Russie sont peu nombreuses à court terme (horizon 3-5 ans) :
- L’augmentation des importations par gazoduc en provenance de pays tiers. Si les champs de mer du Nord sont en déclin, des capacités de production et de transport additionnelles en provenance de l’Afrique du Nord peuvent encore être mobilisés. La mobilisation de ces ressources aura cependant un coût économique, politique et environnemental. L’Algérie par exemple a arrêté l’exploitation d’un important gazoduc pour des questions touchant à ses relations avec le Maroc et commence à recourir aux gaz de schiste en complément de ses ressources traditionnelles
- Le recours à des importations de gaz naturel liquéfié GNL en provenance de fournisseurs alternatifs comme l’Algérie, l’Europe du Nord ou les Etats Unis. Si cette solution est envisageable dans le cas de la France, faible consommateur de gaz russe et disposant de terminaux méthaniers, elle ne permettra pas de couvrir les besoins en gaz de pays comme l’Allemagne ou la Pologne avant plusieurs années par manque d’infrastructures disponibles. L’Allemagne par exemple ne dispose d’aucun terminal méthanier
- Le recours à des énergies comme le charbon ou le lignite. Cette solution est envisageable rapidement est à des coûts raisonnables pour des pays comme l’Allemagne ou la Pologne qui disposent de ressources locales bon marché et de l’infrastructure pour l’exploiter. Ces pays savent le faire. L’Allemagne a notamment été l’objet de fortes critiques de la part des défenseurs de l’environnement ces dernières années pour avoir laissé le charbon et le lignite, abondants et bon marché mais fortement émetteurs de gaz à effet de serre, se substituer au gaz naturel, énergie qui devait initialement compenser l’arrêt des centrales nucléaires
Vers un nouveau système énergétique ?
A plus long terme – au moins cinq ans, si la situation perdure, un ajustement du système énergétique est envisageable :
- Développement des infrastructures GNL, en particulier les terminaux méthaniers, et accélération des grands projets de gazoduc dans le sud de l’Europe
- Accélération du développement des énergies alternatives (éolien, solaire, biomasse)
- Efforts accrus de maîtrise de la consommation énergétique
Les conséquences immédiates à très court terme seront une augmentation des prix du gaz, et par ricochet du pétrole, dont la Russie est également un pays exportateur, et de l’électricité. Il convient de rappeler que même si le bilan électrique de la France est positif (la France est globalement exportatrice d’électricité) grâce essentiellement au parc nucléaire, les prix de l’électricité sont maintenant déterminés au niveau Européen, selon un mécanisme dit d’ordre de mérite. Les moyens de production sont appelés par ordre de coût de production. A chaque instant le prix de l’électricité correspond au prix de la dernière unité de production appelée. En Europe, aujourd’hui c’est souvent une centrale au gaz.
A très court terme cependant il y a peu de risques de coupure dans l’approvisionnement en gaz. Même si les réserves de gaz sont basses, nous sortons de l’hiver, période de forte consommation.
En cas d’arrêt des livraisons de gaz russe en Europe dans la durée, les 3 à 5 années nécessaires à l’ajustement des systèmes énergétiques seront donc une période critique pendant laquelle on ne pourra éviter une augmentation des prix de l’énergie et des émissions de gaz à effet de serre.
Elles seront également une opportunité d’accélérer la nécessaire transition vers un système énergétique européen décarboné.