Fin août, Walmart, le numéro un mondial de la distribution, annonce avoir passé un accord avec Google, le numéro un mondial du numérique. Grâce à cette alliance de titans, opérationnelle fin septembre, les consommateurs américains vont pouvoir commander des centaines de milliers de produits Walmart soit à la voix, via l'assistant personnel Google Assistant, disponible sur l'enceinte Google Home, soit en ligne sur la plate-forme Google Express. Cet accord stratégique vise un objectif clair : repositionner les deux partenaires face au géant Amazon.
Pour Walmart, il s'agit de s'ouvrir à un nouveau business modèle au travers de la vente via un partenaire – et de faire un saut technologique afin de ne pas se laisser distancer, bref de survivre à l'inévitable transformation numérique de la distribution et du commerce. Certes, le distributeur a récemment progressé dans le e-commerce, notamment en rachetant le site de vente en ligne Jet.com en septembre 2016. Mais de son côté, Amazon a franchi une nouvelle étape en se portant acquéreur de la chaîne de magasins bio Whole Foods Market en juin dernier. Cette acquisition, la plus chère de son histoire (13,7 Mds$), apporte au leader du commerce en ligne plus de 400 magasins physiques. Amazon entre ainsi de plain-pied dans l'ère du « phygital » et menace doublement Walmart.
Pour Google, l'accord ouvre la porte du e-commerce à son assistant personnel Google Home et offre un nouveau terrain de jeu à ses applications d'intelligence artificielle. Par ailleurs, il rend sa plate-forme Google Express plus attractive. Le consommateur y retrouvera des centaines de milliers de référence de Walmart en plus des produits des distributeurs partenaires déjà présents sur la plate-forme tels Costco, Walgreens ou Target. Il permet également aux foyers équipés de Google Home de passer leurs commandes à la voix et de choisir leur mode de livraison, à domicile ou dans l'un des 4 700 magasins que compte Walmart aux États-Unis.
On constate ainsi que le centre de gravité de la distribution change, les rapports de force de la filière évoluent au profit de l'attraction du e-client.
Autre avantage notable pour les deux acteurs, leur alliance va produire de très importants volumes de données, qui leur permettront à l'un comme à l'autre d'affiner leur offre, d'enrichir leurs assortiments, d'anticiper les attentes des consommateurs, de personnaliser leurs propositions et l'expérience du client. Bref, à première vue, c'est une opération gagnant – gagnant !
Toutefois, ce partenariat entre géants va affecter beaucoup plus d'acteurs que les seuls deux signataires. Et ses conséquences interpellent déjà l'ensemble du secteur de la distribution. Ce duopole, Amazon d'un côté, Walmart – Google de l'autre, qui est en train de s'installer, doit amener les protagonistes de la distribution à redéfinir leur stratégie.
La course à la technologie qui s'est engagée nécessite d'importantes ressources. Où les trouver ? Comment les mobiliser sans cannibaliser son activité principale, source de revenus à défaut de profits ? Comment résister à la domination des acteurs du numérique si Walmart lui-même n'y est pas parvenu ?
Pour rester compétitifs tout en changeant de modèle, les acteurs « historiques » de la distribution vont devoir envisager un nouveau mode de relations, de « coopétition », de mutualisation. Pour assurer leur survie, ils vont devoir se réinventer et devenir les acteurs principaux de l'inévitable concentration du secteur. Soit en se répartissant les tâches, soit en mutualisant leurs ressources, soit en étant proie ou prédateur…
Ils devront également prendre en compte une inconnue de taille : le consommateur, « leur » consommateur ! Celui-ci est-il prêt à accepter l'uniformisation de la consommation qui va souvent de pair avec la concentration du secteur. L'utilisation massive des technologies d'intelligence artificielle, les algorithmes d'anticipation des commandes, le reciblage publicitaire, toutes ces applications qui peuvent paraître séduisantes et pratiques, laisseront-elles suffisamment de place au consommateur, à son désir de libre-arbitre ?
Selon les pays, les classes sociales, les saisons, celui-ci a envie de voir ou de toucher les produits, de se promener dans les rayons, d'échanger avec un vendeur, de se laisser surprendre…
Et si appuyer sur un bouton pour se faire livrer de la lessive ou parler à un boîtier pour refaire son stock de couches pour bébé présentent des avantages de praticité indéniables, sont-ils pour autant la seule voie du commerce de demain ? Je ne le crois pas, et vous ?
Nicolas Recapet
Partner Retail et Supply Chain
chez Talan depuis 2011