Les notations extra-financières peuvent-elles guider les investissements responsables ?
Les investisseurs sont nombreux à vouloir donner un sens à leur placement. Pour guider leur choix, ils peuvent agir seul ou faire appel à des agences de notations extra-financières. Analyse de la part de Talan Consulting.
Par Cecile LAFON, Partner et Tarek BOURCHACHEN, Consultant Senior chez Talan Consulting
Les investisseurs sont désormais nombreux à vouloir donner un sens à leur placement, et on ne peut que s’en féliciter. Fin mars 2021, près de 11 000 milliards d’euros d’actifs européens intègrent d’une façon ou d’une autre des critères, facteurs et risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) selon une étude publiée en novembre 2021 par l’EFAMA, l’association européenne de la gestion d’actifs. Et ces encours ne font qu’augmenter, de façon très significative, depuis les deux dernières années.
La prise en compte des critères ESG dans les choix d’investissement est donc aujourd’hui une réalité. A ce titre, l’impact de l’analyse extra-financière est de plus en plus intégré aux évaluations globales des entreprises, des États ou d’autres types d’émetteurs de titres (collectivités, organismes supranationaux, organisations parapubliques…).
Pour guider leurs choix, les investisseurs peuvent utiliser leur propre méthodologie ou celle d’agences de notation extra-financière. Qui sont-elles ? Comment fonctionnent-elles ? Leurs analyses peuvent-elles suffire aux investisseurs soucieux de mettre leur épargne au service d’un développement durable ?
Qui sont les agences de notation extra-financière ? Quel est leur rôle ?
Depuis le début des années 2000, de nouveaux types d’agences de notation se sont développés. Elles visent à évaluer les politiques Environnementales, Sociales et de Gouvernance des émetteurs de titres cotés et non cotés et à établir, à partir de cette analyse, une notation permettant de comparer les pratiques ESG de ces différents émetteurs. Cette notation est notamment utilisée par les sociétés de gestion pour constituer des fonds ISR (Investissement Socialement Responsable).
Pour établir leurs notations, ces agences s’appuient principalement sur :
- Les informations émanant des entreprises elles-mêmes : documents de référence, rapports de développement durable, etc. ;
- Les documents publics tels que les liasses fiscales ou les bilans sociaux ;
- Les données qualitatives récupérées par le biais de questionnaires envoyés aux entreprises et d’entretiens menés avec le personnel et la direction ;
- L’environnement direct de l’entreprise : syndicats, ONG, fournisseurs, clients.
À la suite de la collecte et à l’analyse de ces informations, elles attribuent une note sur la base de pondérations de critères ESG qui leur sont propres.
Contrairement aux agences de notation financière, ce sont les investisseurs qui rémunèrent les agences de notation extra-financière, afin qu’elles évaluent les entreprises dans lesquelles ils souhaitent investir. On parle ainsi d’un modèle « investisseur-payeur », par opposition à un modèle « émetteur-payeur », qui limite les risques de conflits d’intérêts, mais rend plus fragile le modèle économique des agences de notation. Ainsi on observe, depuis quelques années, un fort mouvement de concentration dans ce secteur. Parmi les principales agences de notation extra-financière généralistes, on peut aujourd’hui citer Vigéo Eiris (qui fait partie de Moody’s ESG Solutions depuis 2021), MSCI ESG Research, ISS-oekom, EcoVadis et Sustainanalytics (appartenant au groupe Morningstar).
Quelles sont les limites des notations extra-financières ?
Chaque agence de notation applique sa propre méthodologie d’évaluation : qu’il s’agisse des variables utilisées pour le calcul des scores, des contrôles effectués sur les données collectées, du traitement des données manquantes, des poids attribués aux différentes variables et composantes du score ou encore des modalités de calcul, les méthodologies mises en œuvre par les agences de notation peuvent être très différentes et contribuent ainsi à une absence de convergence des notations.
Le choix des critères de notation ainsi que leur pondération peuvent différer pour plusieurs raisons (secteurs d’activités, pays…). De plus, les critères E, S et G n’ont pas tous le même poids dans la notation de certaines agences. Par conséquent, une entreprise ayant un fort impact social mais un impact environnemental moins important peut néanmoins avoir une note globale élevée.
Au-delà de la pondération, les notes attribuées aux entreprises peuvent varier de façon significative selon les données utilisées, leur agréation dans le calcul et leur interprétation. Il devient alors difficile de comparer les différentes méthodologies de notation. D’autant plus que les données récoltées sont souvent elles-mêmes insuffisantes, hétérogènes ou de mauvaise qualité, et que le cadre réglementaire actuel en matière de reporting extra-financier est encore largement insuffisant.
La notation extra-financière doit ainsi gagner en fiabilité et en comparabilité.
Quels leviers pour adresser ces limites ?
Plus de transparence pour gagner en comparabilité
Il n’est pas nécessairement souhaitable d’aller pour autant vers une plus grande convergence des méthodologies car cela pourrait nuire à l’efficience des marchés, même si les agences de notation insistent bien sur le fait que leur note reflète une opinion et ne doit pas constituer en elle-même une recommandation d’achat ou de vente d’un titre financier.
Mais il apparaît absolument nécessaire d’aller vers plus de transparence de la part des agences de notation, afin d’améliorer leur crédibilité. Cette transparence concerne à la fois :
- Les sources des données utilisées, les méthodes utilisées pour leur fiabilisation et l’amélioration de leur complétude ;
- Les méthodes, processus et modes de rémunération des notations ;
- L’identification et la gestion des conflits d’intérêts.
Conscient de ce besoin de transparence, certaines agences de notation se sont engagées dans un processus de certification. Il existe aujourd’hui deux normes, délivrées sur une base volontaire, visant à garantir la mise en œuvre de bonnes pratiques concernant notamment les données collectées et la transparence des méthodologies utilisées : Deep Data Delivery Standard et Arista. Il s’agit sans doute d’une piste à explorer pour accroitre la transparence et, donc, la crédibilité des agences de notation extra-financière.
Des reportings ESG harmonisés pour plus de fiabilité
Pour gagner en fiabilité, les agences de notation doivent pouvoir s’appuyer sur des données plus standardisées et harmonisées. Pour autant, cette qualité d’information n’est pas toujours au rendez-vous des reportings ESG actuellement produits par les entreprises. L’harmonisation des normes et des reportings ESG des entreprises est donc cruciale.
Dans cette optique, plusieurs démarches d’homogénéisation sont en cours dont celle de l’Union Européenne qui a présenté en avril 2021 la directive « Corporate Sustainability Reporting Directive » (CSRD). Celle-ci remplacera bientôt la directive sur le reporting extra-financier des entreprises (NFRD). La CSRD doit étendre les exigences de la NFRD et les appliquer à l’ensemble des entreprises de plus de 250 salariés tout en améliorant le contenu des rapports extra-financiers : les entreprises devront ainsi communiquer des informations relatives aux problématiques de durabilité, de changement climatique et évaluer l'impact de leur activité sur l'environnement et la société en général. Le processus de reporting se trouvera simplifié grâce à l'interopérabilité des critères ESG, des standards homogènes devant être élaborés par l'EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group). En France, les nouvelles dispositions remplaceront la déclaration de performance extra-financière (DPEF) à partir du 1er décembre 2022 d'après le calendrier de la Commission Européenne.
Dans le même esprit, certains acteurs privés américains tels que le « Sustainability Accounting Standards Board » et « The Climate Disclosure Standards Board » ont chacun mis en place un cadre ainsi que des outils standardisés permettant d’intégrer les informations liées au changement climatique dans les rapports financiers des entreprises.
Il faudra aussi compter sur la fondation IFRS, qui gère les normes comptables au niveau internationale. Celle-ci travaille actuellement sur des standards de reporting durables.
Conclusion :
L’intérêt grandissant pour l’investissement responsable représente un grand pas en avant dans la construction d’une société juste et durable, qui allie performance économique, respect de l’environnement et responsabilité sociale.
La notation extra-financière doit ainsi permettre aux investisseurs d’orienter leur épargne vers des entreprises qui s’engagent et agissent vers plus de durabilité.
Le récent scandale qui a touché la société Orpea (maltraitance des personnes âgées, non-respect des droits syndicaux du personnel) a mis en évidence les limites des modèles actuels de notation. En effet, cette société bénéficiait d’une très bonne notation puisqu'elle était classée 5ème ou 6ème de son secteur selon différentes agences de notation extra-financière.
Pour éviter le « RSE washing » lié aux stratégies des entreprises qui maitrisent les codes et utilisent ces bonnes notes pour attirer les investisseurs, il est indispensable de faire évoluer le modèle de notation vers une méthodologie plus rigoureuse et transparente.
La crédibilité des agences de notation et de leur démarche est en jeu.
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