Le 30 août 2015, The Economist, magazine économique de réputation internationale, a fait sensation en plaçant sur sa couverture un titre choc : « The trust machine » (La machine de confiance). Avec un sous-titre tout aussi inattendu : « Comment la technologie sur laquelle repose le Bitcoin pourrait changer le monde ».
En plaçant la blockchain sur sa Une, The Economist a jeté un pavé éclaboussant dans une mare tranquille. En une simple formule, ce magazine a intronisé une cryptomonnaie qui jusqu’alors, avait avant tout été associée qu’à des activités douteuses telles que The Silk Road, sorte d’Amazon du commerce illicite sur le Dark Web. The Economist avait aussi attiré l’attention générale sur un point essentiel : le coup de génie de l’énigmatique Satoshi Nakamoto, l’inventeur présumé du Bitcoin ne résiderait peut-être pas tant dans cette monnaie elle-même que dans le fameux registre qu’est la blockchain, rendant toute transaction infalsifiable à jamais.
« Un cas d’école de l’utilisation de la blockchain : la lutte contre le blanchiment d’argent. »
Et de poser la question : après tout, la blockchain ne pourrait-elle pas servir à d’autres usages que la monnaie ? Dans la foulée, une multitude d’usages ont été envisagés ou mis en pratique, chacun bénéficiant des atouts de sécurité de la blockchain : dossier médical, comptage des votes, notariat, protection d’œuvres artistiques (les fameux NFTs), logistique… Des géants tels que IBM, Microsoft ou Philips se sont engouffrés dans la brèche et multiplié les applications ad hoc.
La conférence digitale exceptionnelle « Monnaie Numérique, Tokenisation des actifs… : la Finance Digitale face à la Révolution Blockchain », organisée par Talan en collaboration avec Paris EUROPLACE a donné l’occasion d’exposer un cas d’école précis : la lutte contre le blanchiment d’argent en Tunisie.
Hannibal : une plate-forme pour lutter contre la fuite de flux financiers
La Tunisie avait à cœur de corriger sa réputation d’apparent laxisme. En décembre 2017, elle avait été inscrite par l’Union Européenne dans la liste des « paradis fiscaux », et pire encore, le 7 février 2018 sur la liste des pays présentant des carences dans leurs dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. De ce fait, elle avait été placée sous la surveillance du Groupe d’Action Financière (GAFI).
En Tunisie, une commission s’active à lutter contre les détournements monétaires : la CTAF ou Commission Tunisienne des Analyses Financières. Elle relève de la BCT, la Banque Centrale Nationale. Son secrétaire général, Lofti Hachicha était présent à la conférence Talan - Paris EUROPLACE du 19 mai, et il a bien voulu apporter son témoignage sur la question.
Lors des dernières années, la CTAF avait constaté une évolution majeure. En 2017, les trois quarts des cas constatés concernaient des affaires de contrebande (74%). Puis, à partir de 2018, la moitié des crimes ont été liés à des affaires de fraude, de faux et d’usage de faux. Et la cybercriminalité avait fait son apparition dans la liste des nouvelles infractions.
La blockchain rassure des intervenants réticents à partager leurs données
L’idée de Hannibal repose sur la facilitation d’une coopération intelligente entre les différents stakeholders impliqués dans ces problématiques de protection contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme AML / TF. Ces stakeholders sont les banques et La Poste, les bureaux de change, les services de douane, et les services du gouvernement concernés.
Séduite, l’Union Européenne n’a pas hésité à apporter son soutien financier à l’opération en émettant une demande de proposition pour l’implémentation de Hannibal, dans le cadre du programme d’appui à la réforme et à la modernisation du secteur de sécurité (PARMSS) de l’union européenne en faveur de la Tunisie. Talan s'est aperçu de la pertinence du levier de la blockchain pour résoudre la problématique du projet, a répondu avec une architecture qui en tire profit et a était selectionné pour implémenter Hannibal. Les procédures d’exécution de ce projet se sont faites selon les procédures du bureau onusien l’UNOPS, partenaire de l’union européenne dans la mise en œuvre des projets, et en étroite collaboration avec l’unité de gestion par objectifs rattachée au Ministère de l'Intérieur.
Mieux encore, dès juin 2020, la Tunisie a été retirée de la liste noire de l’Union européenne.
Lofti Hachicha a livré son témoignage sur les débuts d’usage de Hannibal depuis sa mise en service début 2021 : « les premiers indicateurs issus de Hannibal portant sur plus de 18 000 déclarations montrent que le taux de fuite baisse par rapport à 2014. »
Mieux encore, « la blockchain intégrée à Hannibal a permis de rassurer des intervenants initialement réticents à partager leurs données. Le défi était le suivant : est-ce que toutes les instances impliquées en Tunisie allaient coopérer ? » Elles ont eu confiance dans le projet et dans sa technologie blockchain.
Il en résulte une excellente coopération entre le privé et le public. « Nous pouvons montrer à la communauté internationale que nous avons désormais une taskforce contre le blanchiment et disposons avec Hannibal d’un outil de contrôle instantané. »
« La blockchain est en mesure d’apporter la fiabilité et la traçabilité qui ont pu manquer par le passé à l’économie numérique. »
Une démarche suivie par d’autres pays ?
Plus encore, selon Samir Hannachi, Colonel major des Douanes de la Tunisie, « auparavant, pour vérifier qu’un document était authentique, l’opération n’était pas aisée : faute de disposer des données venant des banques, les douanes se fondaient avant tout sur la déclaration du voyageur. » A présent, la plate-forme Hannibal apporte une panoplie d’informations sur les devises, qu’elles soient importées ou exportées. Elle pointe les transactions qui n’ont pas été régularisées dans les délais impartis, ce qui optimise les enquêtes de la douane.
La démarche de la Tunisie sera-t-elle suivie par d’autres pays, pareillement soucieux de rassurer les investisseurs étrangers ? Il semble qu’à terme le choix ne se posera même pas : quel pays n’aurait pas à cœur d’afficher l’image d’une contrée respectueuse des normes internationales de transparence financière ? D’autant que la blockchain est en mesure d’apporter la fiabilité et la traçabilité qui ont pu manquer par le passé à l’économie numérique. Qui l’aurait cru : d’une monnaie dont les premiers épisodes avaient des accents libertaires – le Bitcoin – prennent forme des systèmes qui en viennent à conforter les institutions. Un sacré retournement de situation.
Monnaie Numérique, Tokenisation des actifs…La Finance Face à la Révolution Blockchain
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