Le dérèglement climatique constitue l’enjeu majeur des prochaines années pour nos sociétés. Si nous souhaitons limiter son intensité et ses conséquences, nous devons au plus vite questionner nos usages et nos modes de production. La principale source du dérèglement climatique est la combustion d’énergies fossiles. Or, ce sont ces mêmes énergies fossiles qui nous ont permis d’accéder au niveau actuel de confort et de production. Typiquement, l’avènement de la voiture individuelle n’aurait pas été possible sans les énergies fossiles.
En France, comme c’est le cas pour de nombreux autres pays, l’urbanisme et l’organisation territoriale ont été pensés et construits autour de la voiture et de son usage. Nos modes de vie en dépendent fortement. Or en France, le secteur du transport est le secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre (GES). Il représente environ 30% des émissions de GES en 2018 soit 132 Mt CO2éq* (*Millions de tonnes équivalent CO2) et 32% de notre consommation d’énergie finale**, électricité inclus (**L'énergie finale est l'énergie au stade final de la chaîne de transformation de l'énergie, c'est-à-dire au stade de son utilisation par le consommateur final).
Décarboner ce secteur est donc une priorité si nous souhaitons respecter l’Accord de Paris et limiter le dérèglement climatique. Plusieurs solutions ou alternatives sont possibles pour y parvenir. Nous étudierons dans cet article l’une de ces solutions, privilégiée notamment en France : l’électrification des véhicules.
En effet, l’électricité est peu carbonée en France du fait de son mix électrique* (*utilisation faible/limitée du charbon et du gaz pour la production d’électricité), mais elle ne représente que 2% de l’énergie finale consommée par le secteur des transports, principalement dans le ferroviaire pour les transports de passagers urbains et longues distances. Il existe donc un potentiel de substitution important en électrifiant le secteur automobile. Nous verrons que cette substitution des moteurs thermiques par des moteurs électriques permet de réduire les émissions de GES (de réduire la pollution de l’air dans les centres urbains) et sa mise en œuvre peut être réalisée de manière progressive et avec un impact limité sur nos usages et l’organisation de nos territoires.
1. L’électrification des transports indispensable pour en réduire l’empreinte carbone
Les émissions de GES liées au secteur du transport proviennent principalement de la flotte de véhicules légers (véhicules de particuliers et utilitaires) à hauteur de 72%. Ce chiffre monte à 93% si on inclut les émissions liées aux poids lourds – en excluant les émissions liées aux transports internationaux en avion et maritimes.
La décarbonation du secteur transport est donc un enjeu prioritaire, tant pour réduire massivement les émissions de GES de la France que pour réduire sa dépendance aux énergies fossiles.
L’un des principaux leviers de la stratégie européenne, « Fit for 55 » présenté en 2021, est la décarbonation des véhicules légers, avec un objectif de 55% de baisse des émissions de GES d’ici à 2030 pour les véhicules neufs et de 100% à partir de 2035 à l’utilisation* (*non-prise en compte des émissions de GES liées à la fabrication et à la fin de vie du véhicule).
La réussite de cet objectif passe en partie par une substitution massive des produits pétroliers (essence et diesel) par de l’électricité pour les véhicules particuliers et les poids lourds. Cet effet de transfert est d’autant plus important lorsque la part initiale de l’électricité dans le mix énergétique final est faible. Actuellement, en France, l’électricité ne représente que 15 TWh annuel pour le secteur du transport, l’objectif est d’atteindre les 100 TWh en 2050. L’ensemble des scénarii élaborés dans une perspective de décarbonation du transport conduisent à une électrification massive des véhicules, plus de 90% des véhicules légers (particuliers et utilitaires) et 20% des poids lourds d’ici à 2050.
Le Commissariat Général au Développement Durable (CGDD), dans son rapport de 2017, montre que pour un véhicule électrique particulier qui roule 13 000 km / an durant 16 ans, les émissions de CO2 seraient divisées par 5, en prenant en compte l’ensemble du cycle de vie des véhicules, incluant la production de l’énergie et de la batterie, par rapport à un véhicule thermique équivalent. Plus un véhicule électrique roule, plus son empreinte carbone est basse. En effet, si on se positionne dans un pays où le mix électrique est faiblement carboné, la majeure partie des émissions de GES sont émises à la fabrication du véhicule électrique. Le fait de rouler permet d’amortir les émissions à l’usage, au contraire d’un véhicule thermique où la majeure partie des émissions auront lieu pendant la phase d’utilisation. De plus, le véhicule électrique est silencieux et permet de lutter contre la pollution sonore des villes et rejettent moins de particules fines que les véhicules thermiques neufs si corrélés avec un allègement du véhicule et la pratique de l’écoconduite.
Grâce au mix électrique français, le CGDD estime donc que l’électrification des véhicules permettra une forte réduction des émissions de GES. RTE (Gestionnaire français du Réseau de Transport d’Electricité) dans son rapport estime à 97 Mt CO2éq la baisse des émissions de GES via l’électrification des usages en prenant en compte les 3 sources d’émissions de GES identifiées :
- La production des batteries,
- La phase amont (extraction, transport et raffinage du carburant, production de l’électricité),
- La phase de circulation (combustion du carburant).
2. Transformation du mix énergétique et réduction de la consommation finale d’énergie à l’horizon 2050
La Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC, introduite par la Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV)) a été mise en œuvre en France pour élaborer une trajectoire de réduction des émissions de GES de la France afin de respecter l’Accord de Paris.
Elle prévoit sur la période 2020-2050 une baisse de 40% de la consommation d’énergie finale (de 1600 TWh actuellement à 930 TWh en 2050). Cette baisse concerne principalement les énergies fossiles en volume total consommé. Si l’électrification des usages, qui n’est pas propre au secteur du transport va entrainer nécessairement une hausse de la consommation totale d’électricité, elle doit être accompagnée par une meilleure efficacité énergétique et une sobriété accrue dans les usages. L’électrification des usages devrait entrainer une hausse de la consommation d’électricité en valeur absolue en passant de 475 TWh en 2019 contre 645 TWh en 2050 (25% du mix énergétique aujourd’hui contre 55% en 2050).
Le secteur du transport consomme quant à lui aujourd’hui 15 TWh annuel en électricité. L’objectif d’électrification du secteur devrait, dans la stratégie de référence, faire passer sa consommation à environ 100 TWh en 2050.
Cette valeur à une tolérance de + ou – 20 TWh, calculée à la hausse si les camions choisissaient majoritairement l’électricité par batterie plutôt que l’hydrogène ou d’autres carburants « verts », à la baisse si l’électrification du parc automobile était moindre ou si celui-ci se réduisait. Cette trajectoire nécessiterait de développer les capacités de production électriques peu carbonées du pays : nucléaire, solaire, éolien on/offshore, …, sachant que RTE estime que le potentiel de développement de nouvelles capacités de production d’électricité hydraulique est relativement faible.
Le rapport préconise 3 scénarii : le développement du mix actuel, le développement massif du nucléaire ou des sources d’énergies renouvelables. Chaque option ayant ses avantages et ses contraintes.
Quelle que soit l’option retenue, celle-ci devra faire l’objet d’une décision politique éclairée et se tenir dans le temps long, du fait des investissements nécessaires pour atteindre les niveaux de production souhaités.
BONUS du rapport RTE : Quelques bonnes pratiques pour répondre à la hausse des consommations d’énergie, dans les transports, sur son lieu de travail ou bien à la maison.
Outre l’électrification des usages, le rapport de RTE met en avant d’autres leviers, notamment ceux liés à la sobriété : le développement du covoiturage au détriment de l’autosolisme, la réduction de la vitesse de circulation des véhicules, le recours au télétravail ou encore la re-concentration des lieux de vie. RTE estime ainsi qu’une une stratégie volontariste de sobriété permettrait d’éviter la consommation de 20 TWh supplémentaires par an d’ici à 2050.
Rédacteurs :
- Rodolphe GARABETIAN, Consultant Transports & Mobilités
- Simone NERI, Senior Manager Transports & Mobilités
Sources :
- https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-10/Futurs-Energetiques-2050-principaux-resultats_0.pdf
- https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-10/BP2050_rapport-complet_chapitre3_consommation_0.pdf
- https://www.ey.com/fr_fr/power-utilities/e-mobilite-la-ruee-vers-l-electrique-en-4-questions
- https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-rapport-les_couts_dabattement-partie_1_methologie-juin_0.pdf
- https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-12/datalab_81_chiffres_cles_du_climat_edition_2021.pdf
- https://presse.ademe.fr/2022/04/plus-de-la-moitie-des-particules-fines-emises-par-les-vehicules-routiers-recents-ne-proviennent-plus-de-lechappement.html